A LA RECHERCHE D'UN MAIRE D'ÉRÉPIO

Le village d’Hérépian est l’objet de la raillerie des autres villages sans que l’on ait pu déterminer si l’accusation est fondée.

C'est peut-être le péché mignon de nos Languedociens mais cette raillerie persiste depuis de très nombreuses années.

On a beau faire, on a beau dire, les Hérépianais seront toujours des « Manjo tucos», de même les Maraussanais ; les habitants de Bouzigues sont des « saucissots », ceux d'Aniane des « Inoucents ».

Cela fait parler et également écrire de délicieux contes humoristiques dont les détails démesurément exagérés enlèvent toute malice à ces propos. Les Béotiens valent autant que d'autres et les Hérépianais ne sont guère fâchés lorsqu'on les traite de « Tuquies » ; je dirai même qu'ils y voient un titre de célébrité et l'histoire de ce maire d'Hérépian écrite en 1905 par le bon félibre de Nissan, Emile Barthe, fit la joie d'un ancien maire de ce pays défunt dans son grand âge il y a peu d' années.

Il était fier de ses jardins, de son village doté d'un très ancien canal d'arrosage objet d'un très ancien syndicat, l’eau provenant du ruisseau de Mayre depuis l'an­ tique Vîllemagne. Il était surtout fier des tucos qui produisaient beaucoup dans leurs jardins et également de délicieux melons qu'il était heureux de m'offrir agrémentés d'un bon verre bien frais au puit de son hort teinté d'un pastis de sa fabrication et nous ne nous entretenions qu'en langue d’oc.

Comme je lui demandais pourquoi les Maraussanais étaient surnommés des « manjo tucos », il me répondait ironiquement ; « c'est quand la Mare est grosse et qu'elle apporte dans le fleuve d' Orb toutes les tucos non ramassées et c'est une aubaine pour eux de manger à bon compte des courgettes »

Je n'y croyais guère car les Maraussanais ont de beaux jardins et du jardinage de choix sans oublier leur vin muscat et ce vin de messe qui fit pécher si souvent Monsieur le neveu c'est-à-dire, le jeune Ferdinand Fabre.

II m'a été donné de parler du poème consacré à ces mêmes « Tuquiés » d'Hérépian par le majoral biterrois Junior Sans (1820-1905). Le 5 mai 1864, les habitants dudit village auraient eu l'idée de semer des clous en terre afin de pouvoir se passer de leur acquisition à Graissessac, en ce temps-là, grande productrice de ces clous si précieux que l'on appelle « tauhos ».

De cette industrie artisanale il ne reste que des souvenirs... et le poème de Junior Sans. Il y avait eu un conte non moins savoureux au sujet d'un champ de tucos que parcourait un Hérépianais en pleine nuit. Les concombres étaient secs et vides et le vent hurlait dans ce particulier instrument de musique insoupçonné.

L' Hérépianais héros de l'aventure eut bien peur et dut comprendre mais un peu tard comment il avait été berné...

Cette histoire est assez curieuse mais laissons parler Barthe. Elle a été écrite précisément en 1905, l'année de la mort du majorai Junior Sans et cette farce fut illustrée par un peintre biterrois : Gaston Gugnenc, illustrateur du Camel.

Barthe rappelle que de tout temps l'Hérépianais avait un drôle de caractère, mais il se peut que maintenant il en soit autrement. Toutefois, « s'il leur manque un pichot boul », il faudra longtemps pour que cette interprétation disparaisse.

En ce temps-là, Hérépian avait pour maison commune « un viel cadran d'oustal », qui ne valait pas les quatre fers de l'âne du pelhaire : les pierres étaient décharnées et rongées du genre de ces vieilles demeures où se cachent les lézards et les angroles.

Et les édiles votèrent à la « presque » unanimité la construction d'une « commune » neuve. Le maire en exercice ne l'entendit pas ainsi et il démissionna. Le troupeau hérépianais se trouva sans capoulié...

Le premier conseiller de l'assemblée et doyen ancien traceur, un nommé Nougaret se leva pour demander qui voulait prendre la queue de la poèle.

Tous se récusèrent : Fabolo le tondeur, Bourriquet dont l'âne était malade et qui devait donner des lavements selon les prescriptions du vétérinaire.

Enfin ils nommèrent une commission de trois membres, connus pour avoir du bon sens : Nougaret le doyen, Fabolo le tondeur et Bourriquet.

Ils recherchèrent dans le village qui voudrait bien être maire, mais en vain.

Nougaret et Bourriquet ne trouvaient rien et ils dictèrent une lettre de démission en bonne et due forme rédigée par le secrétaire lorsque, à ce moment précis, entra Fabolo avec un grand sourire. « Bonne nouvelle » leur dit-il et il prit son temps pour la leur dire non sans s' être mouché bruyamment, bourré son nez de tabac à priser, éternué les trois coups réglementaires.

Fabolo avait imaginé de déposer devant l'édifice communal une « tuque », un beau concombre et celui qui le ramasserait serait nommé le maire et ceindrait l'écharpe municipale.

Ils s'étaient postés dans la mairie et surveillaient depuis la fenêtre. Le concombre était au milieu du chemin sur une feuille de chou, il était superbe et croucarel.

Mais il ne venait à l'idée à personne de le ramasser ; intrigué peut-être mais n'osant pas y toucher.

Tout à coup, un grand cri vint de la rue, le boucher hurlait :« Arrêtez-le, arrêtez-le». C'était son cochon qui s'enfuyait, le museau à fleur de terre, la queue retroussée poursuivi par une bande d'enfants et qui s'arrêta devant la tuco tel un chien de chasse, sauta brusquement dessus et partit le concombre dans sa gueule.

Voyez la figure de nos Hérépianais qui se regardèrent tels des « piots » et même Fabolo s'évanouit.

Il en fut très malade mais Barthe ne parla pas de nouvelle municipalité...

Ce qui est certain c'est que Fabolo ne fit plus partie de rien dans la municipalité hérépianaise...

Mais il y a toujours des tucos très réputés et aussi des melons délicieux et un village sans histoire au confluent de Mare et Orb que chanta Ferdinand Fabre.

A.DOMERGUE. M.L. janvier 1970

Article rapporté par un enfant du pays , Ernest Mascla qui passa sa jeunesse dans la rue du fer à cheval , et qui depuis Marseille suit l'actualité hérépianaise.

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